DÉCHÉANCE DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE: ET SI LE VRAI DÉBAT ÉTAIT CELUI DE LA DÉFINITION DU CONCEPT DE TERRORISME ?

L'affiche rouge pour dénoncer le réseau de résistance  Manouchian qualifié en 1943 de terroriste par les Nazis. 



Le 17 mars 1943, Missak Manouchian, Arsène Tchakarian et Marcel Rayman attaquent à la grenade des soldats allemands à Levallois-Perret. S’en suit une centaine d’attentats contre l’occupant nazi (contre des casernes, des librairies nazies, le siège du parti fasciste...). Le groupe de résistants de la MOI (Main d’œuvre immigrée) organisation issue à l’origine de la CGT et des FTP (Francs Tireurs Partisans) rassemble en 1943 une soixantaine d’hommes et de femmes pour la plupart antifascistes et républicains, humanistes, d’origines étrangères. Symbole de l’efficacité de la Résistance, le groupe Manouchian est traqué par les Nazis aidés de la police française.  Après des semaines de filature, vingt-quatre membres du réseau sont arrêtés, torturés, condamnés à mort et fusillé au Mont-Valérien. Olga Bancic est quant à elle décapitée à Stuttgart en application du droit criminel de la Whermacht qui interdit de fusiller les femmes. Xénophobe et antisémite, l’Affiche rouge qui est placardée par les Nazis sur les murs de Paris  de Nantes et de Lyon assimile les mouvements de Résistance à “un complot étranger contre la vie des Français et la souveraineté de la Patrie.”  La Médaille de la Résistance fut attribuée en 1947 aux membres de l’Affiche rouge et à l’initiative de Robert Badinter, la loi du 22 octobre 1997 a autorisé l’édification d’un monument à la mémoire de tous les résistants et otages fusillés au fort du Mont-Valérien.

Pour les Nazis et l’État français vichyste, les membres du groupes Manouchian étaient des terroristes. Parce qu’ils contestaient l’ordre en vigueur, luttaient pour la libération du pays et défendaient des principes et valeurs opposées au nazisme, les Résistants étaient qualifiés alors de terroristes (Cf. Histoire de la propagande en France de 1940 à 1944  de Dominique Rossignol, PUF, Paris 2015.)

Le fait qu’il existât pendant le Deuxième Guerre Mondiale une confusion lexicale entre “Résistance” et “Terrorisme” nous oblige aujourd’hui, en plein débat sur la déchéance de nationalité “des terroristes” à repenser la réforme constitutionnelle non pas nous demandant si la déchéance de nationalité doit être réservée aux binationaux ou concernés tous les Français (quitte à créer des apatrides) mais sur la définition de ce que l’on entend précisément par “terroriste”, c’est-à-dire d’envisager la loi non au regard de l’actualité immédiate mais plutôt  en anticipant tous les contextes et situations potentiels.

Car le terroriste est toujours un peu l’Autre. Le rebelle, le déviant, l’incorrect. Marlon Brando dans l’Équipée sauvage qui terrifient et excite la bonne société de l'American way of life. Celui qui porte les cheveux longs ou les cheveux courts, la barbe ou non, c’est selon le dikttat de la mode. Celui qui refuse l’ordo rerum, que ce dernier soit démocratique ou autoritaire, minoritaire ou majoritaire, imposé par le vote, les armes ou la morale.

Ainsi, le “droit de résistance à l’oppression” est inclus dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de 1793. Il justifie l’emploi de la Terreur c’est-à-dire de l’ensemble des mesures d’exception instaurées par le gouvernement de Salut public pour protéger la République et ses concitoyens.  Ce concept de terreur est effectivement un terrorisme d’État destiné à imposer une peur collective pour briser les mouvements de résistance et d’opposition à l’idée de ce que d’aucuns se faisaient du pouvoir. Il s’agit aussi de lutter par la terreur contre le terroristes c’est-à-dire contre tous ceux qui développe une stratégie de violence pour déstabiliser les structures du pays et affaiblir le système (comme si on mettait les Chouans puis les Maoïstes dans le même sac). Mais en appliquant la terreur, les révolutionnaires régicides se voient eux aussi qualifiés de tyrans, ce qui légitime tous les mouvements de résistance à leur égard, y compris armés, et ce au nom de principes et d’une éthique de libération et d’émancipation que les premiers défendaient...

Ainsi, créée en 1940 sous la direction d’Avraham Stern, le Lehi est une organisation des combattants pour la liberté d’Israël. De 1941 à 1948, elle commit de nombreux attentats contre les Britanniques dont le mandat s’exerçait sur la Palestine et la future Israël. Alors qualifiée d’organisation terroriste par les Occidentaux, le Lehi est aujourd’hui une référence des luttes sionistes.

Tous les attentats et expressions de la violence des mouvements  nationalistes (au XIXe siècle), indépendantistes ou de libérations dirigés contre la colonisation
(au XXe siècle) étaient qualifiés de terroristes. Pendant la guerre d’Algérie, les attentats du FLN algérien et le l’OAS étaient qualifiés de terroristes à part égale. Dans les années 1960, le black power américain - en particulier les Black panthers - est accusé d’être un mouvement terroriste par le FBI, même s’il entend porter les armes et mener une politique de terreur exactement comme le Ku Klux Klan le fit vis-à-vis des Noirs de 1865 à 1940. Pendant le maccarthysme, les communistes furent accusés d’être des terroristes exactement comme les anarchistes dans les années 1920.

Tout récemment, en janvier 2015, le dignitaire religieux chiite Nimr Baqer al-Nimr, est exécuté pour “terrorisme”, en tant que figure de la contestation du régime saoudien en 2011, dans le prolongement des Printemps arabes.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan profite de la lutte contre  Daesh pour éradiquer les Kurdes qu’il considère eux-aussi comme des terroristes parce qu’ils revendiquent leur indépendance, même si ce sont surtout ces derniers qui combattent contre l’État islamiste sur le terrain. De même, le 6 janvier 2015 commence le procès contre l’organisation de Fethullah Gülen, réputée terroriste au prétexte qu’elle avait dénoncé la corruption au sein du gouvernement d’Erdogan et manifesté à son encontre...

Le terroriste actuel serait-il dès lors l’opposant politique, non en tant qu’opposant mais parce que son action risque de renverser les pouvoirs en place ? Non seulement celui qui a commis des actes de violences, des attentats mais qui est aussi susceptible d’en réaliser ? C’est d’ailleurs, pour déjouer les crimes potentiels des terroristes que les Nazis et le pouvoir vichyste ont pratiqué une politique de terreur, d'intimidation, d’écoutes, de tortures, d'espionnages, de fouilles qui toucha l’ensemble de la population du territoire français occupé.

Dans ces conditions, si on sait qui désigne les terroristes actuels que la loi de la déchéance de nationalité entend punir, pourquoi rester dans un flou juridique sur la définition du concept de terroriste et leur désignation ? Pourquoi vouloir généraliser ? Car il suffirait qu’un autre parti politique arrive au pouvoir et qu’il désigne l’autre à lui-même comme terroriste pour que constitutionnellement tous les citoyens ciblés perdent de facto leur nationalité et soient sommés de quitter le territoire (ou sinon, de porter par exemple un signe distinctif qui les signalerait comme apatride, leur interdirait tel ou tel lieu ou d'avoir un emploi...). Pourraient-être qualifiés de terroristes le bonnets rouges et les blancs bonnets ? Ceux-ci puis ceux-là. Et vice versa

Il existe à l’heure actuelle pas moins de cent neuf définitions du terrorisme. Certaines le circonscrivent à l’usage de la violence, mais d’autres intègrent aussi la notion de discours radical voire de blasphème... Certaines précisent la nature du sujet (criminel, politique, idéologique, révolutionnaire) mais nombreuses sont celles à mettre à part ou à rejeter les notions de terrorisme d’État...

On comprend dès lors pourquoi il n’existe pas à l’heure actuelle de définition juridique unique et universelle du terrorisme bien qu’il soit fréquemment employé par les instances internationales. S’il existait auparavant un consensus pour distinguer les actes de terrorisme des actes de guerre, depuis les attentats du 11 septembre 2001, notamment contre le World Trade Center, le terrorisme est associé à la guerre (assimilation réitérée par le Président de la république française au moment des attentats du 13 novembre 2015, et pour justifier le prolongement de l’état d’urgence au risque de voire se substituer la notion d’État d’urgence comme organisation politique à celle d’état d’urgence comme situation de crise).

En 2004, l’ONU a proposé une définition selon laquelle pourrait être qualifier de terroriste “toute action qui a pour intention de causer la mort ou de graves blessures corporelles à des civils ou à des non-combattants, lorsque le but d'un tel acte est, de par sa nature ou son contexte, d'intimider une population, ou de forcer un gouvernement ou une organisation internationale à prendre une quelconque mesure ou à s'en abstenir.” Mais dès lors, l’embargo américain contre l’Irak puis les frappes militaires qui ont tous deux directement et indirectement causés des pertes parmi les populations civiles, en espérant qu’elles se rebellent contre Saddam Hussein, doivent-elles être considérés comme terroristes ?  Et qu’en est-il des populations civiles victimes des frappes en Syrie ?

Quel sera dès lors la définition du terrorisme et des terroristes dans le cadre du changement de la Constitution ? En se concentrant sur la question de la déchéance de nationalité, les médias n’occultent-ils pas l’essentiel ? Comment impose-t-on des conséquences sans analyser les causalités ?  N’existe-t-il pas un risque à réformer la Constitution pour la mettre au goût du jour de l’opinion sans prendre en considération tous les changements et évolutions, renversement et inversions de paradigmes sur le long terme ? Car si la désignation des terroristes semble acquise bien, qu'en adviendra-t-il de cette certitude dans un, cin, dix, vingt, cinquante ans ? Pourquoi toujours privilégier les schémas de conséquences-causalités et non celui de processus qui les transcende ? Et enfin, pourquoi ne pas énoncer une notion positive: au lieu de proposer la déchéance de nationalité, pourquoi ne pas demander à ce que d’aucuns valident et acceptent les valeurs et les principes laïcs et républicains non seulement à sa majorité mais aussi à chaque renouvellement de ses papiers d’identité... Mais ce serait poser du même coup la question du sens.



Sylvain Desmille ©. 


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